§3 : La vocation successorale du conjoint survivant sur le droit viager au logement : 764 et suivants.
Le droit viager au logement est de nature successorale. Il n’existe que pour le mariage, pas encore pour le PACS. Pour toute succession ouverte depuis le 1er juillet 2002, le conjoint survivant (CS) peut bénéficier jusqu’à son propre décès d’un droit successoral d’habitation sur le logement qui constituait sa résidence habituelle et d’un droit d’usage sur le mobilier le garnissant dès lors que ce logement était la propriété exclusive du de cujus ou la propriété commune ou indivise des deux époux (pas du DC et d’un tiers).
Si les époux étaient locataires, le conjoint survivant ne bénéficie alors que du droit d’usage sur le mobilier : c’est ce que prévoient conjointement les art. 764 et 765-2 C. civ.
Le droit au viager contrairement au droit temporaire n’est pas un droit d’OP mais le de Cujus ne peut priver le CS de ce droit qu’au moyen d’un testament authentique qui l’en exhérède expressément.
En cas de testament n’exhérédant le CS que de son droit viager, cela n’a aucune incidence sur les autres droits du conjoint dans la succession, notamment sur les droits d’usufruit que le CS pourrait recevoir en vertu de la loi ou d’un libéralité.
L’article 764 est clair sur ce point.
Cette privation du droit viager est rare en pratique, elle ne concerne en général que les situations dans laquelle une procédure de divorce est en cours ou des stratégies patrimoniales dans les familles recomposées en présence des biens de famille.
Le testament olographe ne produit aucun effet en la matière. Il ne permet pas de priver du droit viager.
Si le droit viager n’est pas un droit impératif, il est cependant difficile d’en priver le conjoint (il faut un acte authentique contenant exhérédation expresse voire double exhérédation pour priver de l’usufruit), c’est pourquoi dans les faits on peut appréhender ce droit viager au logement comme un droit « quasi-impératif ». Il est en réalité un droit sui generis.
Le droit viager au logement prend toute son ampleur lorsque le conjoint a opté pour une quote-part en propriété de la succession (art. 757 C. civ par ex.) ou qu’il n’a pas d’option légale, plus encore lorsque l’assiette de ses autres droits est faible ou inexistante en raison par exemple de l’existence de libéralités antérieures qui s’imputent sur les droits légaux du conjoint pour faire disparaître ces droits.
Le droit viager protège le conjoint dans la mesure où ce dernier qui a déclaré l’exercer peut se maintenir dans son logement sa vie durant alors même qu’il a été exhérédé de ses autres droits directement ou indirectement par le biais de libéralités consenties à des tiers.
En revanche, lorsque le conjoint survivant est usufruitier universel, son droit viager au logement semble parfois moins utile dès lors qu’il est absorbé dans l’assiette de son usufruit successoral légal.
En réalité, il n’en est rien, notamment depuis la réforme de 2006, daqns la mesure où la mise en œuvre de l’article 756-6 C. civ. va souvent nécessiter de doubler l’option en usufruit du conjoint d’une option pour le droit viager afin de s’assurer que le conjoint pourra effectivement jouir gratuitement de son logement sa vie durant sans risquer de se voir imposer les nouvelles dispositions relatives au partage (art. 817 s. C. civ.).
EN RESUME :
Le droit viager au logement n’est pas d’ordre public. Le de cujus ne peut priver son conjoint survivant du droit viager qu’avec un testament authentique. Celui-ci doit l’exhéréder expressément.
Un tel testament, cela n’a aucune incidence sur les autres droits du conjoint. Bien que privé de son droit viager au logement, le conjoint pourra tout de même opter pour l’usufruit, par exemple, et rester dans le logement.
L’exhérédation du droit viager est sans incidence sur les autres droits du conjoint dans la succession.
Pour priver le conjoint survivant de tout autre droit (sauf viager), un testament olographe suffit.
Ce droit d’habitation viager pose des interrogations juridiques nées de sa nature sui generis.
En effet, le droit viager au logement et au mobilier dont il est garni est plus qu’un droit d’usage et d’habitation dans la mesure où il confère au Conjoint Survivant les mêmes prérogatives qu’un usufruitier. En droit commun, un droit d’usage et d’habitation ne permet que d’user du bien, pas de le louer.
En revanche, s’agissant des prérogatives du conjoint dans la mise en œuvre du droit viager, elles sont accrues. Ainsi, le logement dont jouit le conjoint sur le fondement de l’article 764 C. civ. peut être loué par ce conjoint s’il n’est plus adapté à ses besoins afin de dégager des ressources nécessaires à ses nouvelles conditions d’hébergement. Une telle prérogative est impossible de la part du titulaire d’un droit d’usage et d’habitation ordinaire.
Donc, le logement pourra être loué s’il n’est plus adapté aux besoins de son titulaire. Par ailleurs, dans la mise en œuvre de ces prérogatives, le conjoint lui-même décide si le logement reste ou n’est plus adapté à ses besoins.
Le droit viager d’habitation est avant tout un droit personnel. Pour autant, celui qui a un droit viager a néanmoins les mêmes prérogatives qu’un usufruitier. Son titulaire peut louer le logement comme un usufruitier. Il ne peut pas le louer pour un usage agricole ou commercial. En soi, ce droit est donc sui generis. Il ne doit pas être confondu avec un droit d’usage et d’habitation ordinaire.
Ce droit viager peut être converti en une rente viagère ou un capital avec l’accord du conjoint et des autres héritiers (766 C. civ)
Différence : Article 759 C. civ.: les héritiers pourraient contraindre le conjoint à la conversion de son usufruit en rente s’il porte sur autre chose que le logement.
La valeur de ce droit au logement s’impute, le cas échéant, sur celle des droits successoraux que le conjoint survivant a recueilli dans la succession: 765 C. civ.
Si le conjoint ne recueille pas toute la succession en usufruit, se pose alors le problème sur le plan civil de l’évaluation de la valeur de son droit viager.
En effet, la loi de 2001 en introduisant ce nouveau droit nous a donné seulement la façon de convertir ce droit en matière fiscale. Selon les dispositions de l’article 764 C. civ, pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit, la valeur du droit viager est fixée à 60% de la valeur de l’usufruit déterminé selon le barème fiscal prévu par l’article 669-1 du CGI. Or aujourd’hui, il n’y a plus de taxation fiscale des droits du conjoint survivant (loi TEPA). On peut néanmoins s‘inspirer du barème fiscal pour calculer la conversion du droit viager en une contre-valeur en propriété.
Il existe des tranches dans le barème fiscal qui sont les suivantes :
Si le conjoint est âgé de :
• - 21 ans : 9/ 10ème de la propriété (90%)
• - 31 ans : 8/ 10ème (80 %)
• - 41 ans : 7/ 10ème
• - 51 ans : 6/ 10ème
• - 61 ans : 5/ 10ème
• - 71 ans : 4/10ème
• - 81 ans : 3/ 10ème
• - 91 ans : 2/10ème
• + 91 ans : 1/10ème (10%)
Civilement, on peut ajuster/affiner le calcul selon le sexe, le milieu social ou l’état de santé…
Précisons encore que l’esprit de la loi de 2001, en créant le droit viager au logement du conjoint survivant, était de favoriser le droit au logement du CS. En pratique, l’évaluation de ce droit ne peut se faire que de la convention des parties entre un plancher de 60% de la valeur d’un usufruit et un plafond que l’on estime être de 90%de la valeur de l’usufruit en gestion de patrimoine.
Mais si les parties en conviennent, il peut s’agir d’une évaluation purement économique.
Exemple :
Succession : 200 000 €
Conjoint : ¼ en pleine propriété
Logement + mobilier = 180 000 €
Conjoint : - de 61 ans révolus. Evaluation de l’usufruit 50% de la valeur de la pleine propriété.
VALORISATION DU DROIT VIAGER :
180 000 X50% X 60% = 54 000 € (contre valeur en propriété).
ATTENTION !
1-Selon les articles 764 et suivant du C. civ., la valeur du droit viager au logement vient en déduction des autres droits du conjoint dans la succession.
2-Si la valeur des autres droits du CS est supérieure à ses droits viagers, il peut prendre le complément sur les biens existants, si c’est l’inverse, il n’a droit qu’au droit viager.
3-Par ailleurs, si le droit viager est supérieur aux autres droits du conjoint dans la succession, le conjoint n’est pas tenu d’indemniser la succession pour le surplus : il n’a droit qu’à son droit viager lequel ne peut être réduit : 765 C. civ.
Autre exemple :
Logement : 300 000
Compte bancaire : 20 000
Economies : 70 000
Mobilier : 10 000
TOTAL 400.000
Conjoint âgé de 70 ans.
Le CS souhaite ¼ en pleine propriété : 100 000.
Pour éviter de payer l’indemnité d’occupation visée par l’article 815-9, lorsqu’un bien est indivis et occupé privativement par un seul indivisaire, le conjoint survivant va faire jouer son droit viager.
Logement + mobilier : 310 000
Droit viager = 310 000 x ( 60 % : plancher) x 40 % ( tranche – de 71 ans) = 74 400
100 000 – 74 400 = 25 600 qu’il pourra prélever sur les économies.
Ici le conjoint aura droit à son droit viager et une petite quote-part en propriété.
Grâce au droit viager, le CS va pouvoir se maintenir tout au long de sa vie dans le logement, en jouir pleinement, le louer, alors même qu’il n’a pas d’usufruit légal sur la succession et qu’éventuellement la loi lui a refusé un tel droit parce que le conjoint est en concours avec des enfants non communs...
Le droit viager est un droit extrêmement protecteur du conjoint survivant. Il peut donc poser des problèmes si le décès intervient en cours de procédure de divorce. D’où la nécessité pendant la durée de l’instance de penser à exhéréder le conjoint de ce droit au moyen d’un testament authentique, donc notarié.
Le droit viager doit s’exercer dans le délai d’un an à compter du décès (765-1 C. civ): le conjoint survivant doit manifester sa volonté de bénéficier de ses droits d’habitation sur le logement et d’usage sur le mobilier dans l’année du décès.
Passé ce délai, l’exercice d’un tel droit n’est plus possible sauf selon P. Catala, accord des héritiers mais le droit viager est alors inopposable aux tiers.
S’agissant d’un droit personnel, il est en principe incessible et insaisissable contrairement au droit de propriété ou d’usufruit, droits réels donc cessibles et saisissables
La loi ne prévoit pas quelle est la forme de la manifestation de volonté pour le réclamer. Elle n’exige pas un écrit mais l’écrit est important pour la pré-constitution de preuve par écrit.
En pratique la déclaration d’option pour le droit viager, devrait être faite dans un acte ou dans une lettre recommandée avec AR adressée aux héritiers pour qu’ils en soient informés. Il est important de publier ce droit également à la conservation des hypothèques pour le rendre opposable aux tiers.
NB : Afin que vous soyez tous à l’aise sur les droits au logement du conjoint survivant, je vous conseille vivement de revoir les démembrements et l’indivision, droit des biens ne doit avoir aucun secret pour vous….